Si c'est un jardin...

Pour nous dire la vie et la mort, Henri Olivier met en oeuvre, avec une grande simplicité, un dispositif épuré, constitué d'alignements alternés d'oliviers adultes et d'épaisses lames de bois plombées, légèrement décollées du sol.
L'espace qui en résulte s'organise dans une absolue symétrie entre vertical et horizontal, légèreté du végétal vivant et pesanteur glacée du gisant, entre aérien et terrestre.
Chacun de ces arbres relève lui-même de cette dualité par sa frondaison subtile et mouvante, et son puissant enracinement dans le bac de terre qui le nourrit, chacune des lames aussi, par l'opposition du bois et du plomb.
La charge des symboles ici accumulés est considérable.
A tel point qu'il paraîtrait vain d'en détailler le réseau foisonnant et complexe qui, des Saintes Ecritures aux valeurs topiques méditerranéennes donne son substrat à l'oeuvre.
Mais, de toute évidence, c'est aussi cette densité symbolique, malgré tout présente à l'esprit, qui lui permet de se faire exceptionnellement dépouillée; de ne plus s'en tenir, à peu de choses près, qu'à cette relation binaire, sans pour autant tomber dans le simplisme ou dans l'insignifiance.
Le fait que ce dispositif soit présenté dans un lieu clos - l'espace culturel muséal - a un puissant effet de contextualisation.
La réalité vivante des arbres ainsi déplacée, contribue à l'installer hors du temps et des contingences géographiques. Nous sommes en pleine ambiguïté, entre le vivant et le virtuel. C'est bien en un lieu mental que nous avons loisir de pénétrer. Une sorte de topographie idéale qui pourrait correspondre à l'archétype des limbes.
Ambiguë, la lumière électrique qui se mêle à celle du jour pour éclairer ce jardin. Ambiguë, l'ombre de ces arbres sous un toit de béton. Ambiguë, la résonance de nos pas sur le dallage de marbre. Ambigu le statut de ces objets sculptés et polis, affectant la disposition des tombeaux. Mais d'une ambiguïté plus apaisante qu'inquiétante.
Il est alors étrange de constater combien ce sentiment de virtualité allège la sensation du corps dans la déambulation à laquelle nous convie la disposition en allées de l'espace.
Etrange de constater combien nous ressentons physiquement cette atemporalité.

De toute évidence, ce qui est ici évoqué - et ce qui ici fait oeuvre - nous ramène aux origines mêmes de la sculpture, à deux actes archaïques et fondamentaux.
La taille du végétal qui donne sa forme au vivant et l'ordonne. Celle du bois ou de la pierre, qui célèbre la disparition d'un homme et marque sa place en terre pour la mémoire des vivants.
C'est à dire que l'acte artistique, avec des moyens très sobres, sonde ici sa raison d'être originelle entre le profane et le sacré, réexplore l'implication étroite entre le savoir-faire, la nature et le rite.
Mais ce retour sur le geste premier n'est en rien régressif. Car tout en renouant avec une symbolique primordiale, l'oeuvre opère dans un champ tout à fait contemporain: en impliquant par son dispositif tout le corps, elle nous porte à une disposition d'esprit nouvelle propre à nous faire reconsidérer le réel.
Elle nous place dans un état physique et mental propres à la méditation.
Il s'agit justement de nous ménager, hors du temps, une vacance dans laquelle nous sommes invités à venir nous inscrire, de nous rendre palpable une absence que nous ne savons pas combler.
Tout ceci pour mieux nous dire, par défaut, l'homme justement voué pour l'éternité à ce cycle.

Jardin d'Eden, jardin secret, jardin des délices, jardin des oliviers, jardin des supplices, jardin des morts.
Autant de territoire mentaux, mythologiques ou mythiques, auxquels il s'agit là de donner corps et espace, pour que le corps s'y déplace et s'y délie l'esprit.
Si c'est un jardin, ce ne peut-être qu'à la fois, celui où la vie s'origine et celui où elle s'ensevelit: celui ou elle se fait mémoire.
Un territoire totalement syncrétique, étonnamment familier, par lequel ont passé l'innocence, la souffrance et la rédemption, et dans lequel on retrouve dans une sorte de reviviscence, l'harmonie, l'absolue sérénité du temps admis.

 

Hubert Besacier, in catalogue Henri Olivier, ed. Villa Arson, Nice, 1994.